Cette 2e lettre s’inscrit dans une correspondance entamée avec le Premier ministre Couillard en mars dernier afin de le sensibiliser à la réalité des jeunes en difficulté et sans abri. Pour que tous les jeunes s’en sortent.
M. le Premier ministre Couillard
Un ministre de la jeunesse pour tous les jeunes
Par Rémi Fraser, coordonnateur, Regroupement des Auberges du cœur du Québec, et Johanne Cooper, présidente du Regroupement des Auberges du cœur du Québec et directrice de la Maison Tangente qui accueille des jeunes âgés entre 18 et 25 ans
Monsieur le Premier ministre,
Au cours des dernières semaines, vous avez eu l’occasion de porter davantage le chapeau de ministre de la jeunesse. D’une part, vous avez dû expliquer la décision de fermer les Forums jeunesse et transférer leurs subventions aux Carrefours jeunesse-emploi. D’autre part, vous avez défendu votre vision des dossiers jeunesse lors de l’étude des crédits le 23 avril dernier. C’est surtout sur ces dernières interventions que nous voulons revenir. Autant le dire d’emblée, ce que nous avons entendu nous a rendu plus inquiets que confiants. Nous aurions souhaité que le ministre de la jeunesse soit un ministre pour tous les jeunes, ce n’est pas ainsi que vous êtes apparu.
Dans un premier temps, vous précisez que plusieurs institutions répondent « à des besoins précis, souvent pour aider les jeunes pour qui la transition vers l’autonomie présente des défis particuliers ». Vous affirmez que votre priorité est l’accès à l’emploi des jeunes et vous ciblez particulièrement les 200 000 jeunes de 15 à 29 ans qui ne seraient ni à l’emploi ni aux études. Qui sont-ils ? C’est avec beaucoup de précisions que vous les définissez : « les chômeurs, plus quatre autres catégories, les personnes non disponibles au travail pour des raisons familiales ou de santé, les personnes désengagées qui ne cherchent pas d’emploi parce qu’elles croient qu’aucun travail n’est disponible. Les chercheurs d’opportunité qui sont en attente d’une occasion d’emploi qui cadre avec leur compétence et ceux qui font le choix volontairement d’être inactifs pour un projet comme un voyage ou une activité artistique. »
Votre description est incomplète. Nous connaissons bien un bon nombre de ces jeunes «ni à l’emploi, ni aux études», nous vivons avec eux depuis près de 40 ans. Ils arrivent chez nous en état de survie et visent à devenir autonomes grâce à un travail correspondant à leurs attentes tant en termes de qualité de vie que de réalisation personnelle. Tout en faisant face à « des défis particuliers » comme vous le dites vous-même, ils constituent déjà une part importante des jeunes qui ont recours à ces programmes conçus principalement pour les catégories « sans défis particuliers » décrites plus haut, des programmes qui s’avèrent alors inadaptés à leur situation les rendant toujours plus à risque d’échec et d’exclusion.
Ces « défis particuliers », ils sont nombreux et prennent racine le plus souvent dans le parcours difficile qu’ils ont suivi pour arriver jusqu’à une Auberges du cœur : conflits familiaux souvent aggravés de violence, d’abus ou de négligence, toxicomanies et dépendances, faible estime de soi menant à des pensées suicidaires, voire à des tentatives de suicide, décrochage scolaire, isolement social, et pauvreté bien entendu. À ce portrait, s’ajoute, pour des raisons qu’on saisit encore mal, un nombre croissant de jeunes confrontés à des difficultés d’apprentissages, de troubles de l’attention ou d’autres problèmes de santé mentale. Ces jeunes aussi devraient être les jeunes du ministre de la jeunesse. Ce sont, en tous cas, ceux qui nous ont choisis pour s’en sortir.
Et vous savez quoi, bien souvent ça marche. Ces jeunes ne sont pas divisés en programmes ou en ministères. Ils ont une vie pleine et entière à reconstruire. Ils ont besoin de minimum de sécurité, d’un lien de confiance avec des adultes engagés et responsables, de temps surtout et de programmes souples qui s’ajustent à leur situation. Des programmes qui les accompagnent, qui les soutiennent réellement afin de leur donner le coup de pouce qui leur permettra de reprendre le contrôle de leur vie. De telles mesures et programmes, nous les attendons toujours et vos dernières annonces ne vont nullement en ce sens.
Quand donc allez-vous reconnaître qu’ils existent ? Quand donc allez-vous vous ajuster à leur situation et leurs besoins, à leur réalité plutôt qu’aux modèles théoriques créés par vos fonctionnaires ?
Le Québec doit renouveler sa politique et sa stratégie jeunesse dans l’année qui vient. En feront-ils enfin partie ? Vos propos lors de l’étude des crédits les déclarent absents de vos priorités. Vous avez prononcé des mots importants le 23 avril dernier. Soulignant que le Québec était « la seule de toutes les grandes provinces canadiennes, qui a commencé à décroître depuis 2013, alors qu’on a cruellement besoin de croissance économique et de prospérité. On ne peut plus se permettre de ne laisser personne derrière. » Serez-vous à la hauteur de ce défi ? Quant à nous, nous le relevons à chaque jour avec ces jeunes. On attend toujours que vous veniez nous rejoindre.
Ci-joint deux versions PDF de la lettre, une version abrégée (450 mots) et la version intégrale (900 mots)
Nos porte-parole sont disponibles pour entrevue si vous souhaitez approfondir le sujet.
Pour info :
Isabelle Gendreau
Cel. 438-390-3985
isabelle.gendreau@
www.aubergesducoeur.org
Twitter : @aubergesducoeur
Facebook : facebook.com/
Le Regroupement des Auberges du cœur du Québec représente 28 maisons d’hébergement communautaires pour jeunes en difficulté et sans abri ou à risque de le devenir réparties dans dix régions du Québec. Les Auberges du cœur hébergent et soutiennent chaque année 3000 jeunes âgés entre 12 et 30 ans et doivent en refuser autant, généralement faute de places. Ces chiffres ne reflètent qu’une partie des besoins des jeunes itinérants ou à risque de le devenir pour le type d’hébergement et de soutien que nous offrons considérant les territoires où de telles ressources sont inexistantes. Au total, les Auberges du cœur offrent plus de 300 lits en maison d’hébergement et, plus de 150 autres places en appartements supervisés ou logements sociaux.