Lui, le photographe et elle, l’auteure, ont parcouru les routes d’Amérique du Nord, en s’arrêtant aux croix plantées en bordures des routes, symboles in situ d’accidents mortels. Le résultat de ce voyage, l’exposition Croix de mémoire, est présenté au Musée des maîtres et artisans du Québec du 1er novembre au 3 décembre 2017. Les œuvres sont des haïsha : des photographies de R A Warren accompagnées de la poésie japonisante de Danielle Shelton.
Dans cette exposition, le travail des artisans relève d’une culture populaire qui ressent un besoin irrépressible d’exprimer de ses mains un chagrin profond et intime et de marquer tangiblement le lieu même où la perte de l’être cher s’est concrétisée. La charge émotionnelle des témoignages dits (les mots inscrits sur les croix) et non-dits (les croix elles-mêmes et les objets personnels) est beaucoup plus forte que dans un cimetière, et ce malgré l’absence du corps, peut-être même à cause de cette absence. La croix, plantée là où tout a basculé, là où l’esprit a quitté le corps, exprime l’affection des proches de la victime et, parfois, la révolte, sans la froide censure de la pierre tombale ou de la plaque commémorative.
Le regard compatissant du photographe capte l’image de la croix dans un décor saisonnier qui ne correspond pas nécessairement à celui de la mort. Peu importe, le lieu est celui de la mémoire et non pas de l’instantanéité du drame qui s’est joué là. Le décor change, le symbole est altéré par le temps, le souvenir s’estompe plus ou moins. Les voyageurs compatissants, eux, ne s’arrêtent qu’une seule fois, quelques minutes. À partir des informations disponibles au lieu même, ils dramatisent en une image et quelques mots leur interprétation émotive d’un évènement tragique qui n’est jamais sans conséquence.