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Communiqué

Tout le monde est d’accord, l’état québécois a besoin d’un examen en profondeur. Une démarche structurée, non complaisante et honnête qui vise à recentrer les efforts de l’état, là où les besoins sont les plus grands, là où c’est le plus rentable socialement et économiquement, là où on veut corriger des problématiques.

Les carrefours jeunesse-emploi (CJE) font maintenant l’objet de discussions d’un ministère qui semble omettre une étape importante : faire l’analyse d’impact avant d’exiger des changements qui modifieraient leur mission. Les dernières informations à ce sujet suggèrent qu’Emploi-Québec impose les clients qui seraient référés aux CJE par les agents des centres locaux d’emploi et que seulement les jeunes de 18 à 35 ans prestataires de l’aide sociale et de l’assurance-chômage soient référés. Tous les autres jeunes seraient refusés. Ainsi, un élève de secondaire V, un jeune de 19 ans sans emploi et sans revenu aucun, issu d’une famille défavorisée ou provenant d’une famille de classe moyenne, un jeune travailleur à temps partiel, un jeune décrocheur et tous les autres dans une situation semblable se verraient refuser des services. En fait, cette portion de clientèle représente 80% de l’ensemble des 16-35 ans que nous recevons au Carrefour Jeunesse Emploi de LaSalle. Ajoutons qu’on veut aussi interdire l’accès au moins de 18 ans, car ces derniers arrivent trop souvent dans les CJE sans avoir une carte d’assurance sociale du Canada.

Les CJE sont à l’ordre du jour et le ministre a choisi de commencer les échanges par quelques attaques échappées dans l’oreille d’un journaliste qui a préféré ne pas vérifier la réalité auprès des principaux intéressés. Selon ses propos, les CJE « refusent les clientèles les plus pauvres », « font une faible reddition de comptes »… L’objectif du ministre est de se servir des CJE pour « sortir » le maximum de prestataires de l’aide sociale et ainsi économiser. Pour y arriver, il faudra des mesures incitatives ou occupationnelles. L’essence des CJE n’est pas de créer des emplois; ils permettent aux jeunes d’atteindre leurs objectifs dans de meilleurs délais. Une analyse s’impose car même les gestionnaires d’Emploi-Québec questionnent le réalisme de cette stratégie.

Un échange avec les CJE, au préalable, aurait permis un travail sur des solutions plus adaptées afin de soutenir adéquatement l’état québécois dans l’atteinte de ses objectifs.

À ces visées théoriques sur les CJE s’ajoute la réalité des centres locaux d’emploi d’Emploi-Québec qui commencent à être dégarnis. Prenons LaSalle, qui avait en juin 2014 une quinzaine d’agents d’aide à l’emploi et qui en comptera seulement huit en juin 2015. C’est d’autant plus inquiétant si l’on sait que les centres locaux d’emploi peinent à faire les références de participants et de suivis aux différentes ententes signées avec des organismes de développement de l’employabilité et les commissions scolaires. Si on ajoute la référence des prestataires de l’aide sociale en nombre suffisant pour fournir les CJE, on peut se questionner sur les moyens dont ils disposeront pour atteindre leurs objectifs.

Il aurait été plus simple de prendre quelques minutes pour demander un effort et des solutions adéquates de la part des CJE du Québec et ainsi produire des économies, non seulement à court terme mais encore davantage à long terme. Les CJE sont des partenaires de l’état québécois auprès de la jeunesse depuis leur implantation sur tout le territoire québécois, voilà maintenant 20 ans, et ce, grâce à l’effort de tous les premiers ministres du Québec qui se sont succédés durant cette période.

Pour sa part, le CJE LaSalle aurait possiblement proposé et préféré les cinq critères d’évaluation que Mme Monique Jérôme-Forget avait en tête voilà quelques années lors de la réingénierie de l’état pour la révision des programmes. Les voici :

1- Est-ce le rôle de l’état : ce programme répond-il toujours à une mission de l’état?

Cette question nous ramène obligatoirement à la mission des CJE, soit d’accompagner et de guider les jeunes adultes de 16 à 35 ans dans leurs démarches d’insertion sociale et économique, dans leur cheminement vers l’emploi, vers un retour aux études ou dans le démarrage d’une entreprise. Les services et activités visent l’amélioration des conditions de vie générales des jeunes.

Veut-on que l’état maintienne cette mission auprès des jeunes adultes? La réponse sera positive si l’on se réfère aux valeurs québécoises contemporaines qui placent au premier rang le développement de sa jeunesse, de toute sa jeunesse. Et le modèle des CJE est unique tant dans sa forme que dans son contenu, car il permet l’accueil, l’information et la référence de tous les jeunes, peu importe leurs besoins. Ensuite, il offrira, selon le cas, des conseils et un accompagnement pour finalement effectuer un suivi pour l’atteinte des objectifs des jeunes. Nos CJE font même l’objet de convoitise. On envie le modèle et on le copie dans plusieurs pays tels que le Pérou, la Bolivie et le Sénégal.

Un CJE existe afin de combler les besoins des 16-35ans en développement de l’employabilité de chacune des circonscriptions. Son plan d’action est élaboré avec tous les partenaires du comité d’orientation, y compris les députés du territoire, et est ensuite envoyé à Québec au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. À LaSalle, on retrouve parmi ces partenaires les représentants de la municipalité, la police, le CLSC, les deux commissions scolaires, des organismes communautaires et des citoyens engagés.

En somme, une mission de l’état? Oui. Et réalisée grâce à un programme simple et innovateur.

2- Quelle est son efficacité: Atteint-il ses objectifs?

À nouveau on doit retourner à la mission d’un CJE pour spécifier la question de l’efficacité au regard de cette dernière. Nous aurons ainsi trois questions, soit :

A ) Les CJE ont-ils favorisé l’universalité d’accès aux services pour les jeunes?

B ) Les CJE ont-ils généré des effets structurants, rentables et durables?

C ) Les CJE ont-ils permis aux 16-35 ans de s’appuyer sur des structures locales à dimension humaine (et donc accessibles)?

Voici quelques chiffres que nous fournissons à Emploi-Québec : à LaSalle nous avons reçu au cours de l’année 2013-2014, 398 jeunes pour des services ponctuels et 336 autres ont fait l’objet d’une ouverture de dossier avec plan d’action et suivi. Tous ont un accès gratuit aux ordinateurs, télécopieur et photocopieur. Nous avons également rencontré plus de 800 élèves dans les écoles. Depuis les débuts du CJE LaSalle, ce sont plus de 8000 jeunes que nous avons desservis. Nous avons développé douze projets de coopération internationale avec des jeunes enseignants, des jeunes en insertion sociale, des jeunes performants de niveau secondaire; nous avons aussi mis sur pied une radio communautaire où il y a plus de 40 jeunes impliqués dans son développement; nous avons reçu le soutien de 108 partenaires; nous gérons depuis onze ans deux coopératives jeunesse de services dont la seule anglophone au Québec; nous avons implanté un centre d’affaires étudiant dans l’école secondaire de notre quartier et quelques autres actions locales auxquelles s’ajoute la gestion des projets Jeunes en action, IDEO et Défi à l’entrepreneuriat jeunesse. À la question portant sur l’efficacité nous répondons oui, largement.

3- Ce programme est-il efficient? Pourrait-on l’offrir autrement? À moindre coût tout en préservant la qualité du service à la population?

Chaque CJE reçoit une subvention qui est tributaire des particularités de son territoire. Ce montant est différent en fonction du nombre de 16-35 ans et du nombre de prestataires à l’aide sociale et l’augmentation de la subvention n’est pas définie à l’avance, chaque gouvernement décide d’accorder ou non un rehaussement.

Y a-t-il des règles à ajouter pour régir le ratio d’encadrement du personnel ou encore le ratio des frais de gestion? Certainement, si elles sont applicables avec intelligence et dans le respect du plan d’action des CJE. Au regard de ces points, l’efficience des CJE est démontrée.

Ajoutons que, considérant les écarts de salaires de 30% plus faibles des CJE vis-à-vis ceux de la fonction publique, la qualité des services est suffisamment haute pour que les clientèles se renouvellent d’elles-mêmes sans qu’Emploi-Québec les y oblige; que les dépenses de loyer, d’électricité, de taxes, et d’entretien sont assumées par les CJE; que chaque conseil d’administration est composé de bénévoles; que chaque CJE assume dans son budget les frais de vérification comptable, d’audition externe et de maintien des outils de reddition de compte; est-il possible d’offrir l’ensemble de ces services à meilleur coût? Tout est possible, cependant la démonstration reste à faire.

4- Qu’en est-il de la subsidiarité? Le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale est-il la meilleure instance pour assumer la gestion des CJE?

On pourrait ajouter une autre question au sujet de la subsidiarité : sommes-nous devant un programme qui devrait être à frais partagés entre deux ministères? De façon plus spécifique, la création des CJE origine du ministère du Conseil exécutif et a été transférée à celui de l’Emploi et de la Solidarité pour des motifs visant à faciliter l’accès au financement de l’entente fédérale-provinciale sur le marché du travail.

Si l’on fait une lecture rapide du cadre normatif d’implantation des CJE du Québec, on constate facilement que les CJE débordent du cadre des mesures et services d’Emploi-Québec et c’est pour cette raison que nous avons préservé notre statut d’organisme subventionné pour sa mission. Les plans d’action des CJE sont construits autour de quatre axes, soit les études (intégration et maintien), l’emploi (intégration et maintien), l’entrepreneuriat et enfin le volet autre dans lequel on retrouve les projets spéciaux qui sont souvent liés au développement local ayant un impact sur les 16-35 ans. À titre d’exemples, le CJE LaSalle est un membre fondateur de la Maison des jeunes La Bicoque implantée dans un quartier défavorisé et en instance de revitalisation, il est l’initiateur des Jardins Collectifs du Nutri-Centre LaSalle afin que les raccrocheurs du centre d’éducation des adultes voisin aient accès à une activité mobilisatrice en lien avec les citoyens plus défavorisés de ce quartier et enfin le CJE LaSalle est l’initiateur de la création de la Radio communautaire de LaSalle afin de soutenir l’intégration des jeunes dans les médias (techniciens, animateurs, journalistes) et de soutenir le développement du sentiment d’appartenance local.

En somme, ce sont toutes des activités de développement local demandées par la communauté et qui ont été mises au service du développement de l’employabilité mais qui peuvent être catégorisées en dehors du ministère d’Emploi-Québec selon la vision qu’on privilégie. La structure d’Emploi-Québec privilégie un modèle moins souple afin de standardiser sa gestion. Rendre des comptes sur des projets locaux qui sont différents d’un CJE à l’autre rend la standardisation et l’uniformisation plus difficile et conséquemment est contraire à la culture de ce ministère. Le modèle actuel des CJE rend le suivi de la reddition de comptes plus exigeant mais est-ce une raison pour modifier une formule gagnante et pour lancer la confrontation? En insinuant que les CJE font une mauvaise reddition de comptes alors qu’ils répondent aux attentes contractuelles et à tous les formulaires exigés, c’est un peu comme si l’on reprochait à un enseignant d’utiliser la formule de bulletin scolaire imposée par le ministère de l’éducation.

La subsidiarité pourrait être partagée entre deux ministères afin de permettre à Emploi-Québec de maintenir et de préserver le modèle souple et productif que sont les CJE.

5- A-t-on les capacités financières? A-t-on les moyens d’en assumer les coûts ou faut-il en revoir la portée?

Quoi de plus difficile que d’évaluer l’impact économique et social d’un programme ayant une aussi large portée que les CJE? Le Réseau des carrefours jeunesse-emploi du Québec (RCJEQ) a demandé à la firme Raymond, Chabot, Grant, Thornton (RCGT) d’évaluer notre impact et de chiffrer son bénéfice annuel au regard des actions suivantes : incitation au raccrochage scolaire, retour aux études, réorientation scolaire/professionnelle, aide à l’employabilité et à l’intégration en emploi. La contribution des CJE à l’économie du Québec est de 72 millions. Si l’on soustrait le coût du financement des CJE, nous avons un bénéfice net de 27 millions, et ce, annuellement. Ajoutons les profits liés aux projets de développement local et vous avez un « plan sud » pour la jeunesse.

Avons-nous les capacités financières et souhaitons-nous profiter d’un bénéfice de 27 millions de dollars grâce à l’action et l’efficacité des CJE?

La réponse est OUI.


Les membres du conseil d’administration et Philippe Tisseur, Directeur général du Carrefour jeunesse-emploi de LaSalle / Destination Travail



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