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Chronique

Le 7 juin 2023, la Table a fait parvenir une demande de moratoire dans l’application des dispositions de la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises à la Ministre de l’Emploi, Madame Kateri Champagne Jourdain, et son ministère.

Par cette lettre, elle leur a fait part de ses préoccupations en regard des nouvelles exigences appliquées par cette loi, qui causent des craintes chez les regroupements nationaux membres de la Table et chez les organismes communautaires autonomes du domaine de la santé et des services sociaux par rapport à leur droit d’association. La Table a aussi souligné que les changements à la loi ont été apportés sans faire grand bruit, alors que les conséquences possibles dans les organismes sont grandes. Pour ces raisons, la Table a demandé un temps d’arrêt et a offert toute sa collaboration à la Ministre afin qu’elle tire profit de ce temps d’arrêt, dans l’objectif d’identifier des solutions adaptées aux réalités des groupes communautaires et aux personnes qui s’y engagent, tout en respectant les motivations du législateur. :

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Bonjour Madame la Ministre.

Au nom de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles, je souhaite vous faire part des préoccupations des organismes communautaires que nous représentons relativement à l’application des dispositions de la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises.

Depuis quelques semaines de nombreux groupes et regroupements communautaires nous font part de leurs inquiétudes face aux nouvelles exigences, appliquées par le Registre des entreprises depuis le 31 mars 2023. Ces règles demandent de fournir l’image d’une carte d’identité et la date de naissance de chaque membre d’un conseil d’administration et beaucoup d’organisations communautaires en découvrent actuellement les conséquences, en même temps qu’elles constatent les craintes de leurs membres. En effet, tenant fréquemment leur assemblée générale entre avril et juin, c’est à cette période que se constituent les conseils d’administration, suivie de la mise à jour du dossier au registre des entreprises.

Vous conviendrez avec nous que la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises n’a pas fait grand bruit, ni lors de son dépôt en décembre 2020, par le projet de loi no 78, ni lors de son adoption en avril 2021, ni même depuis. Nos recherches n’ont en effet permis de trouver qu’un seul article de presse, datée du 28 septembre 2022[1], et cet article ne mentionnait même pas les nouvelles exigences citées plus haut.

Depuis, à moins de visiter régulièrement le site web du registraire, il était pratiquement impossible de connaître les nouvelles règles ni de prévoir qu’elles s’appliqueraient à compter du 31 mars 2023. En effet, ce n’est que par un bref encadré, inclus dans une lettre transmise un mois avant la date d’échéance de la mise à jour annuelle, que cette information a été communiquée aux organisations. Nous estimons que la publication de deux communiqués de presse (5 octobre 2022 et 31 mars 2023)[2] et quelques brèves explications sur un site Web ne constituent pas non plus une campagne d’information suffisante pour un changement de cette importance.

Nous estimons que les nouvelles règles entraînent des problèmes qui sont de nature à entraver le droit d’association des groupes communautaires. Croyant que cette conséquence n’a pas été prise en compte lors de l’adoption de la Loi, nous demandons un moratoire d’au moins une année quant à son application aux groupes communautaires. La Table vous offre sa collaboration pour tirer profit de ce temps d’arrêt, dans l’objectif d’identifier des solutions adaptées aux réalités des groupes communautaires et aux personnes qui s’y engagent, tout en respectant les motivations du législateur.

Nous attirons votre attention sur le fait que les conseils d’administration des groupes communautaires sont formés de personnes qui en sont membres et qui les fréquentent pour répondre à des besoins liés à des conditions particulières. Dans le cas des organismes que nous représentons, soit ceux du domaine de la santé et des services sociaux, en étant membres du conseil d’administration ces personnes associent leur identité à des sujets pouvant avoir un fort potentiel de marginalisation et de stigmatisation. Certaines peuvent même déjà vivre de la discrimination en lien avec la problématique abordée par le groupe, ou se sentent à risque d’en subir.

Ainsi, le conseil d’administration d’un groupe d’entraide apportant du soutien, par exemple à des personnes toxicomanes, sera composé des personnes directement concernées par la mission du groupe. Il en va de même pour des ressources venant en aide à des personnes itinérantes, à des personnes vivant avec divers problèmes de santé mentale ou physique, offrant de l’hébergement à des femmes en situation de violence conjugale, renforçant la sécurité alimentaire soutenant de jeunes adultes lors de périodes difficiles, etc. Il est facile d’imaginer que nombre de ces personnes craignent de fournir les renseignements personnels du type de ceux demandés par le Registraire, cela diminuant leur sentiment de sécurité.

Dans tous ces exemples, les membres du conseil d’administration exercent un rôle démocratique exigeant qu’il importe d’encourager. Or, nous croyons que les nouvelles règles pourraient dissuader des personnes de s’engager dans un conseil d’administration, si elles doivent pour ce faire transmettre leur date de naissance et une pièce d’identité.

De plus, la mise à jour du dossier au registraire étant sous la responsabilité des responsables de l’organisation cela signifie que ces dernières recueilleront des informations confidentielles sur les membres de leur conseil d’administration, informations qu’elles ne détiendraient pas autrement. Dans le contexte où les groupes communautaires commencent à peine à apprivoiser les exigences découlant de la Loi 25, Loi sur la protection des renseignements personnels leur demander de recueillir et de protéger des données personnelles si sensibles, sans préavis ni informations suffisantes pour y voir clair, est très problématique. En plus de représenter une charge administrative importante, ces nouvelles règles soulèvent des inquiétudes quant aux responsabilités qui en découlent, d’autant plus que les démarches peuvent être le fait de bénévoles ou par des personnes qui ne sont pas formées pour assumer ce type de fonction.

Considérant qu’un conseil d’administration d’un groupe communautaire compte fréquemment une dizaine de membres, nous nous questionnons également sur les délais qu’entraînera le traitement de cet afflux de données, et ce, dans une période très concentrée. Soulignons que l’information, obtenue par téléphone, à l’effet que les cartes d’identité seraient détruites dès la validation des informations par les fonctionnaires du registraire n’est pas suffisante pour convaincre une personne qui hésite à les fournir. De plus, rien n’indique que les personnes concernées, ni même les responsables ayant transmis les informations seront avisés que les pièces ont été détruites, alors que cette information est cruciale afin que le groupe détruise également les informations personnelles recueillies.

Comparativement, les entreprises commerciales sont dans une situation bien différente face aux nouvelles règles, lesquelles ont d’ailleurs été instituées pour contrer la fraude et l’évasion fiscale. En effet, les ressources humaines et financières dont elles disposent pour y répondre sont tout autres; il y a peu de chance que la responsabilité des démarches incombe à des bénévoles et le nombre de membres du conseil d’administration risque d’être réduit. Mais surtout, il est peu probable que les membres du conseil d’administration d’une entreprise commerciale aient les mêmes craintes que celles composant celui d’un groupe communautaire réunissant des personnes marginalisées ou fragilisées, notamment par leur profil socio-économique.

Nous estimons qu’un temps d’arrêt est essentiel pour trouver des voies de passage répondant à l’objectif de transparence souhaité par le législateur, sans entraver le droit d’association, pour ensuite être suivi d’une véritable campagne d’information à l’intention des organisations et des personnes touchées.

Croyant, dans les circonstances, que l’application de la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises aura des conséquences néfastes sur le mouvement communautaire, nous vous demandons d’accorder un moratoire d’au moins une année.

Nous réitérons l’offre de collaboration de la Table et espérons pouvoir vous rencontrer afin d’exposer tous les enjeux liés à ce dossier. N’ayant pas encore eu l’occasion de faire connaissance, nous joignons une présentation de la Table en annexe de cette lettre.

En vous remerciant pour l’attention portée à cette demande, veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.

Gaëlle Fedida, Présidente de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles

C.C.

Madame Chantal Rouleau, Ministre responsable de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire

Monsieur Lionel Carmant, Ministre responsable des Services sociaux

Les membres de la Table des regroupements d’organismes communautaires et bénévoles

Caroline Toupin, coordonnatrice du Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-A

[1] La Presse, 28 septembre 2022, Transparence des entreprises La grande réforme promise par Québec repoussée à 2023, https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2022-09-28/transparence-des-entreprises/la-grande-reforme-promise-par-quebec-repoussee-a-2023.php

[2] Communiqués De nouvelles obligations pour les entreprises https://www.registreentreprises.gouv.qc.ca/fr/actualites/2022/2022-10-05.aspx. (5 octobre 2022 ) et Entrée en vigueur des dispositions de la Loi visant principalement à améliorer la transparence des entreprises (31 mars 2023) https://www.registreentreprises.gouv.qc.ca/fr/actualites/2023/2023-03-31.aspx « 

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