Tout d’abord, qu’est-ce réellement l’héritage professionnel, ce patrimoine hérité, non choisi, qui fait de nous tous des êtres déterminés au départ à faire partie d’une catégorie sociale plutôt que d’une autre, les uns naissant du bon côté de la barrière et les autres du mauvais côté, ou assis très inconfortablement à cheval sur cette barrière ? Comment remédier à cet ancrage de départ ou fatalité ? Beaucoup de questions émergent de cette complexité désormais entendue comme composante de nos sociétés dites évoluées, mais atrocement divisées provoquant des clivages douloureux et insoutenables, laissant une marque chez l’enfant et l’adolescent dont il ne se départira peut- être jamais tout au long de sa vie et de son parcours professionnel.
On pourrait définir l’héritage professionnel comme étant ce que nos parents, père , mère, grands-parents, nous laissent à voir et à identifier ou au contraire , nous cachent, de leurs propres expériences vis-à-vis de l’emploi, du fait d’être salarié lambda d’une entreprise petite ou grande, d’être au chômage sur des périodes plus ou moins longues, ou de ne pas avoir travaillé. Travailler veut dire exister aux yeux des autres, apporter sa contribution à la société, se rendre reconnaissable et gagner en valeur sociale. Toutes autres tâches effectuées en dehors de ces paramètres formatés ne représentant pas la vraie valeur du travail, exception faite des professions artistiques qui constitueraient ici, l’exception que l’on peut admettre.
Pour Maude Séguin, chercheure et sociologue urbaine : < Il faut demeurer prudent avec une vision fataliste quant au fait d’être née dans une famille bien nantie ou au contraire, pauvre, vivant de peu de moyens avec l’aide sociale, puisque ces facteurs de départ déclenchent presque toujours des mouvements de cynisme et de rejet dans le deuxième cas, et l’admiration dans le premier; cette prudence s’applique autant à notre propre perception des échelles sociales, qui est en haut et qui est en bas, mais aussi dans bon nombre de travaux menés en sociologie autant que chez les acteurs de terrain qui oeuvrent dans le champ du social et de l’accompagnement.
C’est ici que la notion de soutien prend toute son importance: un jeune, par exemple qui serait issu d’un milieu défavorisé pour peu qu’il puisse bénéficier d’un accompagnement, d’une guidance, d’un soutien, soit de la part d’adultes mais aussi et surtout, insiste-t-elle, de la part de son entourage, de d’autres jeunes comme lui qui tentent de percer et de se tourner vers le haut, le parcours de ce jeune s’en verra changé, amélioré et il pourra enfin transgresser ce fameux héritage professionnel qui faisait de lui au départ un perdant, un décrocheur.>
Daina nous montre l’exemple : jeune fille née au Pakistan dans une société férocement traditionnelle, venant d’une famille où le père est le seul qui travaille, sa mère étant femme au foyer ,n’ayant jamais occupé un emploi, arrivée au Québec à l’âge de 12 ans, la famille connaissant tous les aléas et les difficultés liés à l’intégration dans ce nouveau pays , le Canada ,dans la province du Québec; et souhaitant ne pas reproduire le schéma familial, franchir la frontière des traditions, des héritages multiples qui pesaient sur elle et souhaitant faire des études universitaires afin obtenir un emploi valorisant et intéressant.
Aujourd’hui, Daina est titulaire d’un baccalauréat en criminologie et psychologie et est prête à se battre afin de trouver un premier emploi dans son domaine. En permanence, elle démarche activement à trouver les ressources nécessaires à la poursuite de son parcours.
Frank connaît une situation moins heureuse, issue d’un milieu social professionnel larvé par le chômage, les difficultés familiales de sa mère élevant seule ses frères et sœurs, il s’implique dans un processus d’accompagnement à l’emploi dans un organisme en employabilité, mais aussitôt une étape ou une marche sautée, la famille lui rappelle insidieusement, mais si tu franchis le pas, si tu réussis à obtenir un bon emploi bien payé, tu ne seras plus des nôtres, tu ne nous ressembleras plus! Son héritage professionnel défaillant fait de lui un héritier fâché avec son héritage qu’il ne peut refuser et qu’il doit endosser malgré lui.
Pour Maude Séguin , la donne est malheureusement claire sur le plan statistique : enfant née dans un milieu favorisé où il n’y a pas de problèmes financiers, plus d’espace, de respiration, de loisirs, réussira mieux à l’école et conservera sa motivation tout au long de sa vie et de sa carrière étant tenté d’aller toujours de l’avant, d’aller plus loin; à contrario, un enfant née dans un milieu très défavorisé sera vite dévalué, ne serait-ce qu’à ses propres yeux, éprouvera des difficultés de concentration et de motivation, se laissant parasité aisément, la seule remédiation possible dans ce cas-ci étant une reconnaissance venant de l’entourage, soit des enseignants, ou de d’autres adultes, de moniteurs par exemple ou même de ses amis qui l’encouragent et pourraient faire de lui un gagnant.>
En définitive, il reste difficile et ardu d’échapper à sa condition sociale de départ, mais rien n’est impossible : transgresser son héritage professionnel, c’est aller vers les autres, se rapprocher des dispositifs et des personnes qui sont associées à un accompagnement. Ces accompagnants-conseillers sont partie constituante d’une écoute et d’une empathie, et sont en mesure d’apporter des solutions concrètes et positives en rejetant la fatalité de départ; au final, ils jettent un regard neuf sur la personne, venant en renfort à le soutenant, l’aidant à persévérer et à se distinguer des autres.
Céline Meilleur
Conseillère en emploi
Emploi Jeunesse