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Chronique

Image de l'article Au-delà des « besoins de base »

J’ai grandi avec l’idée que j’avais des besoins de base.  

Ces besoins, cependant, n’ont jamais été clairement définis pour moi. Je savais utiliser l’expression « besoins de base », par exemple quand il s’agissait de manger, de dormir ou encore d’aller à la salle de bain. Il y avait aussi le besoin d’avoir un toit, mais plus précisément, un lieu habitable de manière convenable, avec de l’électricité, un frigo, etc. Malgré tout, cette notion restait floue, comme si tout pouvait devenir un besoin. Ce que je veux dire, c’est que cette idée était un peu abstraite : tout pouvait y être inclus. J’ai observé que cette expression était utilisée de manière passe-partout par des politiciens de tous horizons idéologiques, des économistes, des militants, des religieux, etc. 

À l’école, on m’a présenté un modèle pour expliquer ces besoins :  c’était une pyramide. On me l’a détaillée, mais elle n’a jamais dissipé le flou. En fait, l’idée des besoins de base était directement issue de cette pyramide. Pourtant, j’ai toujours eu l’intuition que je n’étais pas une pyramide, que ce modèle me représentait mal, nous représentait mal. Dans la classe, tout le monde semblait accepter cette pyramide comme une évidence, une sorte de représentation universelle des nous-mêmes. 

Ce n’est que bien plus tard qu’on m’a partagé une autre vision des choses : non linéaire, non pyramidale, plutôt circulaire, plutôt complexe. Et là, j’ai enfin pu nommer mon inconfort. On m’a expliqué que la réalité humaine – et plus largement, la réalité vivante – ne fonctionne pas de manière linéaire. On m’a montré que se représenter les humains par une pyramide empêchait de les comprendre et de transformer certaines conditions collectives d’existence. 

Cette représentation rend invisible le fait que satisfaire les « besoins de base », comme se nourrir, entraîne une vision réductrice des personnes concernées. On les perçoit comme des êtres incapables, à la base, de parler, de donner un sens à leur vie, de ressentir des affections ou d’avoir des espoirs. Selon cette vision, ces aspects viendraient « après », dans la hiérarchie des besoins. On part ainsi d’une idée très passive de l’autre. Et quand une situation de crise se prolonge, on continue à penser aux personnes dans cette posture passive. On les nomme alors des « personnes vulnérables », pour lesquelles il s’agirait uniquement de satisfaire des besoins liés à la subsistance. Je précise : parler de besoins dits « de base » est parler de la subsistance

Cette représentation est trompeuse, autant sur le plan scientifique que sur celui de notre expérience humaine. La construction de sens, l’affection, l’identité ou la participation au monde ne viennent pas « après ». La personne qui a été clasée à la base de la pyramide donne déjà un sens à ce qui lui arrive : à la manière dont on agit envers elle, à la raison pour laquelle elle n’a pas accès à des réponses. Cette personne est toujours en train de construire du sens, avec un corps sensible à son environnement, aux mots, aux gestes, une personne qui veut avoir une place, et ça, c’est aussi la base. 

Penser la réalité humaine à partir de la subsistance comme étant la base, c’est réduire notre humanité. Malheureusement notre système socio-économique repose sur une logique d’assistance justifiée par une pyramide. Or, les acteurs qui pourraient poser un regard critique et proposer d’autres représentations peuvent être des agents qui reproduisent cet état de fait – évidemment avec de bonnes intentions. 

Si nous voulons commencer à transformer nos milieux d’existence, nous devrions affirmer que nous sommes des êtres vivants avec un ensemble de besoins fondamentaux qui coexistent avec le besoin de subsistance.  

Actuellement, je trouve plus de sens dans cette autre perspective sur les besoins humains : les besoins essentiels sont limités (neuf), ils forment un système et peuvent être vécus comme un potentiel et non seulement comme un manque. Il y a une distinction entre « besoins », « réponses » et « biens » (ressources) qu’une réponse mobilise. Ainsi, la diversité de réponses et de biens est très large et dépend du contexte. Les besoins, quant à eux, sont limités, non hiérarchiques et sont les mêmes pour tous les êtres humains. Nos besoins d’identité, de compréhension, d’affection, de loisir, de création, de liberté, de participation, sont dans le même plan que ceux de subsistance ou de protection.  

Je constate qu’il est possible, avec cette idée plus juste de notre humanité, de commencer à mettre en place d’autres manières de vivre ensemble. Il faudrait donc qu’on arrête de se voir, les uns et les autres, comme étant des pyramides, afin de ressentir la richesse de notre condition humaine, et du vivant qui nous traverse. 

David Castrillon – Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)

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