Dernière mise à jour: 28 août 2024
Les mineurs face aux dérives sectaires
en collaboration avec Info-Secte
Introduction
La nécessité de protéger les mineurs face à l’emprise sectaire est une exigence pour les pouvoirs publics et un devoir pour tous.
Leur vulnérabilité physique et psychologique, leur dépendance matérielle les désignent comme une proie facile pour des mouvements porteurs de dérives sectaires, notamment lorsque la vigilance du titulaire de l’autorité parentale est elle même défaillante.
Qui peut tolérer qu’un enfant soit abusé sexuellement, maltraité, privé de soins, ou d’une éducation qui lui permette de devenir un citoyen libre ?
Risque de dérive sectaire et enfance en danger
Les mineurs : un public vulnérable et une cible privilégiée des mouvements à caractère sectaire
L’enfance, âge des possibles, est ce temps essentiel où se construit la personnalité et où se conquiert progressivement l’autonomie, propre à l’âge adulte. Le passage de la minorité à la majorité peut être décrit comme ce difficile processus par lequel l’enfant apprend peu à peu à penser par lui-même.
Mais l’enfance est aussi le temps de la dépendance affective, intellectuelle, psychologique et matérielle. Cet adulte en puissance qu’est l’enfant ne peut acquérir seul les connaissances et les compétences nécessaires à son développement physique et mental et à son autonomie. Ainsi, l’enfant ne peut-il être appréhendé indépendamment de sa famille ou de son entourage direct.
À ce titre, le monde des adultes s’impose à l’enfant comme une référence, qu’il y adhère ou la rejette, en termes de comportement, de valeurs, d’idées, de croyances. En perpétuelle construction, l’identité à venir de l’enfant sera donc profondément marquée par ceux qui joueront le rôle de « tuteurs », parents la plupart du temps mais pas seulement. Cette identité en devenir est, peut-être plus qu’à d’autres âges de la vie, extrêmement malléable, prenant des formes et des plis qui constitueront par la suite les fondations d’une personnalité.
Le centre névralgique d’une dérive sectaire étant l’emprise mentale, il va de soi que les mineurs, en quête d’eux-mêmes et confiants dans le discours des adultes, en sont des cibles privilégiées : tout d’abord parce qu’ils sont faciles à convaincre, ensuite parce qu’ils constituent l’avenir d’un mouvement, ses germes futurs.
La situation des mineurs face aux dérives sectaires ne recouvre pas une seule et unique réalité qu’il serait aisé d’identifier, mais relève au contraire d’une multiplicité de circonstances qui doivent être appréhendées dans leur singularité.
Il est cependant possible de distinguer trois types de situations où l’enfant peut se voir confronté à un risque de dérive sectaire :
➢➢L’enfant de parents adeptes
Lorsque l’enfant naît dans une famille dont les parents sont des adeptes ou le deviennent pendant sa petite enfance, il se trouve immergé dans le « bain » des pratiques et des croyances, adhérant presque naturellement, par imitation d’abord puis par conviction, aux comportements de ses parents. Cette situation peut conduire à un enfermement, symbolique ou effectif, au sein du seul cercle familial ou parfois au sein de communautés fermées. Ses uniques fréquentations seront la plupart du temps d’autres enfants d’adeptes, à l’exclusion du monde environnant présenté comme néfaste ou « impur ».
➢➢ L’enfant pris en charge par un praticien
Lorsque les parents, soucieux du devenir de l’enfant et inquiets pour sa santé ou son développement, décident de consulter un praticien, celui-ci peut, dans l’intimité de la consultation, entamer un travail de persuasion vis-à-vis de l’enfant puis des parents qui sont en situation de fragilité vis-à-vis des difficultés rencontrées par leur enfant. Ce dernier devient alors la porte d’entrée du mouvement dans la famille.
➢➢L’adolescent séduit par un discours alternatif et absolu
Dans l’adolescence, le mineur, dans son désir de transgression et de liberté, peut être approché et séduit par des discours absolus et alternatifs relayés par des mouvements qui revendiquent en apparence des idéaux de progrès et de solidarité mais qui, dans leur fonctionnement, visent en fait une captation des esprits et des biens. Ce type d’emprise peut occasionner chez l’adolescent ou le jeune adulte des comportements violents vis-à-vis de lui-même ou des autres, voire le conduire à rompre tout lien avec sa famille.
Au sein de cette typologie générale, les situations particulières peuvent être susceptibles de varier à l’infini et sont toujours délicates à appréhender.
Par exemple, dans des cas de séparation au sein d’un contexte sectaire, l’enfant risque de se retrouver au coeur d’un conflit mettant en jeu l’autorité parentale : à quel titre les parents peuvent-ils alors, chacun, faire valoir leur droit d’élever leur enfant selon leurs principes respectifs ?
Risque sectaire et enfance en danger
La situation d’un mineur en danger ne se limite pas à des cas de maltraitance avérés mais implique la prise en compte d’un risque potentiel dans le cadre d’une prévention nécessaire. Il y a risque lorsque les mineurs sont exposés à des conditions d’existence susceptibles de mettre en danger leur santé, leur sécurité, leur moralité ou leur éducation.
Lorsque l’on parle de risques de « dérives sectaires » touchant des mineurs, il s’agit donc de prendre en compte cette double approche de la notion de danger, à la fois risque et maltraitance.
Qu’est-ce qu’une « dérive sectaire » ?
Fidèle au principe de laïcité, le législateur ne définit pas les notions de secte et de dérives sectaires. Les professionnels de la protection de l’enfance peuvent éprouver des difficultés à prévenir et à agir face à des phénomènes complexes à circonscrire et délicats à traiter, surtout qu’ils semblent manquer de fondement juridique.
La notion de « dérive sectaire » peut néanmoins servir de concept opératoire afin de regrouper et de rendre intelligibles des indices ou des informations préoccupantes qui, sans cela, se présenteraient de manière disparate et non significative.
La dérive sectaire est donc une notion « à double entrée », soit qu’on l’aborde dans le cadre d’un délit constitué, soit qu’elle permette d’appréhender le risque et de prévenir un éventuel dommage sur les mineurs.
La dérive sectaire : contexte d’une infraction avérée ou de la situation de danger moral et matériel
Il s’agit de remonter d’un acte délictueux ou d’une situation de danger au contexte sectaire qui l’a rendu possible ou qui en constitue un des éléments explicatifs. Le mouvement de l’enquête va donc d’aval en amont :
en partant du fait ou du danger incriminé pour en déceler en amont les causes explicatives.
Dans cette perspective, il est possible de définir ainsi ce qu’est une dérive sectaire :
La dérive sectaire se caractérise par la mise en oeuvre de pressions ou de techniques ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, à l’origine de dommages pour cette personne ou pour la société.
Une dérive sectaire suppose donc la présence de trois éléments :
➢➢ la mise en oeuvre de pressions ou de techniques ayant pour effet d’altérer le jugement ;
➢➢ un état de sujétion psychologique ou physique ;
➢➢ des résultats néfastes pour l’individu ou pour le corps social.
Le risque de dérive sectaire : évaluer le danger moral et matériel
Le problème majeur pour les acteurs de la protection de l’enfance est de pouvoir intervenir lorsque le danger demeure potentiel, dans une perspective de prévention. La voie judiciaire, si elle est, en dernier recours, nécessaire, signale malheureusement que les mesures en amont se sont révélées inefficaces pour sauvegarder l’intégrité du mineur.
La prise en compte de la dérive sectaire du point de vue du risque et non plus seulement du danger avéré doit jouer un rôle central dans la prévention et l’anticipation d’un danger potentiel vis-à-vis des mineurs. Il ne s’agit plus alors d’incriminer ou de poursuivre pénalement mais, face des informations préoccupantes, de mobiliser à temps tous les moyens dont disposent les acteurs de la protection de l’enfance pour la sauvegarde du mineur.
La dérive sectaire n’est plus conçue alors d’aval en amont mais d’amont en aval, certains indices concordants pouvant laisser penser que des risques existent pour l’enfant.
Dans cette optique de prévention, on privilégiera donc une approche en termes de faisceau de critères de risques de dérives sectaires susceptibles de porter atteinte aux mineurs :
➢➢ Isolement et désocialisation
➢➢ Atteintes physiques
➢➢ Régime alimentaire carencé
➢➢ Rupture du suivi thérapeutique et privation de soins conventionnels
➢➢ Déscolarisation
➢➢ Changement important du comportement de l’enfant
➢➢ Embrigadement
➢➢ Discours stéréotypé ou absence d’expression autonome
La notion de dérive sectaire ne doit donc ni être restreinte à une acception délictueuse ni être étendue trop vaguement au seul domaine du risque mais tire son utilité de son caractère double : à la fois inscrite dans le champ de l’intervention judiciaire et en adéquation avec la priorité accordée à la prévention.
L’emprise sectaire : un processus en quatre étapes
Une situation d’emprise sur la famille, sur l’un des parents et incidemment sur les mineurs dont ils ont la charge, est un phénomène délicat à cerner. En effet, un individu sous emprise affirmera que son adhésion est totalement volontaire et qu’il n’y a là aucune forme de soumission.
Un tel discours peut éventuellement troubler le travail des différents acteurs de la protection de l’enfance lorsqu’ils sont mandatés pour intervenir et prévenir d’éventuelles maltraitances.
De fait, ces différents intervenants n’ont pas à statuer sur la qualité, volontaire ou non, de l’adhésion d’un parent ou de toute la famille à tel ou tel mouvement. Il s’agit bien avant tout de circonscrire l’analyse de la situation à des faits préoccupants et susceptibles de révéler un danger vis-à-vis des mineurs. Néanmoins, il peut être utile de connaître le mécanisme de l’emprise afin de cerner de manière plus globale, le cas échéant, le contexte au sein duquel les enfants sont élevés.
Les schémas suivants tentent d’illustrer, de manière synthétique, le processus complexe menant à une situation d’emprise. L’emprise mentale ne s’impose pas immédiatement, à la faveur d’un unique événement, mais s’élabore peu à peu, à travers différentes étapes qu’il est possible de caractériser séparément : vulnérabilité, séduction, déconstruction et reconstruction.
1- Vulnérabilité :
➢➢ Quête de sens, recherche de valeurs
➢➢ Problèmes familiaux, affectifs, professionnels
➢➢ Sentiment de solitude, individualisme
➢➢ Vulnérabilité, stress, maladie
2- Séduction
➢➢ Masques respectables, culturels, humanitaires, thérapeutiques, spirituels
➢➢ Chaleur humaine, sentiment d’appartenance, charisme des dirigents
➢➢ Promesse et secrets, élitisme
➢➢ Attention portée aux désirs et à la vulnérabilité
3- Déconstruction
➢➢ Processus initiatique : néo langage, hiérarchie, interdits, prescriptions
➢➢ Rupture avec les références antérieures, affectives, familiales, intellectuelles, sociales, morales
➢➢ Perte de repères, altération des rythmes biologiques et de l’alimentation
➢➢ Multiplication des engagements en temps, financiers, symboliques
4- Reconstruction
➢➢ Réécriture du passé, de l’histoire personnelle
➢➢ Nouvelle éthique à la place des anciennes valeurs
➢➢ Servitude volontaire : l’adepte croit consentir librement à sa soumission
➢➢ Emprise sur les choix importants : thérapie, profession, éducation, famille
Source: Extrait du Guide : La protection des mineurs contre les dérives sectaires de MIVILUDES, éditions La documentation Française
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