Les premiers habitants s’installèrent près des carrières de calcaires pour y travailler. Une dizaine d’habitations constituaient alors le village de Coteau-Saint-Louis. Comme le souligne une édition de 1936 du journal La Patrie :
« , De hardis pionniers décidèrent d’aller au-delà de la voie du C.P., de modestes ouvriers achetèrent des lopins de terre, Le développement fût lent, On allait aux fraises dans les environs de la rue Isabeau (Jean-Talon),Entre cette rue et Ahuntsic, rien que de vastes champs incultes ou quelques petits terrains en culture maraîchère. » ( La Patrie 12-3-1936)
Un autre noyau de peuplement se forma le long du chemin du Sault, à la hauteur de l’actuelle rue de Castelnau. On retrouve alors quelques habitations, un maréchal-ferrant et l’hôtel Bougie, dont le village porte d’ailleurs le même nom, qui deviendra par la suite la paroisse Saint-Alphonse-d’Youville ; en l’honneur de la fondatrice des surs Grises, Marguerite d’Youville. Vers 1870, il servait surtout de point de passage vers la campagne. Les gens de la ville s’arrêtaient dans le village de Bougie avant de continuer leur route vers le nord de l’île de Montréal, à Sault-au-Récollet.
La mise en place de lignes de transport efficaces, celle de la Montreal Street Railway et du Canadien Pacifique Railleway, permettront à plusieurs familles de quitter les quartiers ouvriers du sud de la ville pour venir fonder, aux environs des années 1890, les paroisses qui composeront le village de Villeray, soit celles du Notre-Dame-du-Très-Saint-Rosaire, à la hauteur des rues St-Hubert et Villeray, et du Sault-au-Récollet, devenu Saint-Alphonse d’Youville.
La banlieue nord
L’arrivée d’une importante population dans le secteur nécessitera la création du village de Villeray, afin de pouvoir construire rues, trottoirs et égouts. À l’époque, il était nécessaire d’être constitué comme tel afin de percevoir des taxes, permettant ainsi l’accélération du développement.
À l’automne 1896, l’Assemblée nationale du Québec adoptera une loi proclamant le statut officiel du village de Villeray. La nouvelle entité s’étendra entre les rues Chateaubriand, St-Hubert, Villeray et Everett. En 1899, le village s’agrandira jusqu’à la rue Jarry.
Le village est alors peuplé de familles d’agriculteurs, de commerçants, d’ouvriers et d’hôteliers. On retrouve les familles Latoure, Vervais, Jos et Deschâtelais. En 1902, on dénombre près de 800 habitants dans Villeray.
Le village peut compter sur la présence de l’église Notre-Dame du-Très-Saint-Rosaire, construite en 1900 et sur une salle municipale où se déroulent les séances du conseil municipal et, au deuxième étage, sur une salle de classe pouvant accueillir jusqu’à 125 enfants, dirigée par deux institutrices. Le village de Villeray est alors considéré comme un endroit en plein développement et comme un lieu de villégiature. Dans un article paru dans le quotidien La Presse en 1902, Villeray est décrit comme suit :
« La municipalité qui porte le nom de Villeray consiste aujourd’hui en un prospère et joli village. Celui qui serait passé, il y a sept ou huit ans à cet endroit, n’aurait jamais pu croire qu’en si peu de temps les bouleaux au milieu desquels il se trouvait et les marécages qu’il foulait au pied puissent se transformer aussi rapidement en habitations confortables. »
L’avenir appartient à Villeray
L’avenir appartient à Villeray. Chaque année de nouvelles maisons se construisent, de nouvelles places de commerce offrent plus d’avantages aux habitants de l’endroit, et les Montréalais, désireux de respirer en été l’air pur de la campagne, tout en restant à deux pas de la ville, viennent chercher dans le nouveau village le repos, la tranquillité et par conséquent, le bonheur.
Ses rues renferment toutes sortes de maisons, de commerces, de magasins de marchandises sèches, des magasins généraux, d’épiceries, ainsi que plusieurs hôtels tenus avec un soin jaloux par leurs propriétaires. On y retrouve à la fois toutes les améliorations modernes et tout le confort possible. D’ailleurs, les nombreux visiteurs qui se rendent en foule durant la belle saison sur cette place coquette et proprette n’ont toujours qu’à se féliciter de la manière affable et courtoise avec laquelle on les a toujours reçus.
Les communications avec Villeray sont très faciles.« Les chars de la Montreal Street Railway y ont leur terminus et le Canadian Pacific Railway passe à quelque pas. » (La Presse, 8-3-1902)
Plusieurs raisons incitent également la population à venir s’installer dans Villeray. Outre le fait que ce soit un lieu de villégiature, on y retrouve la présence de carrières importantes, dont celles de Villeray, aujourd’hui l’actuel parc Villeray, qui favorisent la venue de familles de tailleurs de pierre.
Aussi, les facilités de transport, par le tramway et le train, incitent les Montréalais du sud de la ville, où les conditions de vie se détériorent grandement, à venir s’établir dans ce qui est considéré à l’époque comme étant la campagne. Plus tard, en 1911, la venue des usines de construction et de réparation des tramways de la Montreal Street Railway, ainsi que l’installation, angle Crémazie et Saint-Laurent, des ateliers d’Youville, accélèrera grandement le développement du village de Villeray.
Les carrières de Villeray
Les visiteurs qui se promènent aujourd’hui dans le vieux Montréal et le centre-ville auront le loisir de remarquer que plusieurs des édifices, dont la gare Windsor et l’église Notre-Dame, du début du XXe siècle, sont faits de pierres grises spécifiques à Montréal. Afin de réaliser la construction de ces édifices, les promoteurs immobiliers auront recours aux gisements de calcaire gris provenant, entre autres, des carrières Labelle, Martineau et Villeray. Cette dernière sera en opération jusqu’au début des années 30, pour ensuite être transformée en site d’enfouissement et convertie, après la seconde Guerre mondiale, en parc municipal : le parc Villeray, situé à l’angle de l’avenue Christophe-Colomb et de la rue Villeray.
On retrouvera également une petite carrière non loin du parc Jarry, plus précisément derrière l’ancien Institut des sourds-muets de Montréal du boulevard Saint-Laurent, aujourd’hui le Centre 7400. La pierre de cette carrière sera utilisée pour la construction de l’Institut, sous l’égide des clercs de Saint-Viateurs, qui débutera à la veille de la Première Guerre mondiale, en 1913, pour se terminer en 1921.
L’arrivée des tailleurs de pierre
Les carrières de Villeray contribueront grandement au peuplement du village. C’est dans ce contexte que les tailleurs de pierre, également appelés les « pieds-noirs » du fait qu’ils ne se lavaient pas régulièrement étant donné les conditions d’hygiène de l’époque, viendront s’installer non loin de leur lieu de travail.
Lors de l’annexion de la municipalité en 1905, Villeray aura une population de 800 habitants, principalement ces tailleurs de pierre, des commerçants et des agriculteurs. L’évolution du quartier est donc étroitement liée à la vitalité du développement des grands édifices montréalais du début du siècle.
La crise économique des années 30 mettra un terme à l’exploitation des carrières dans Villeray. Mais entre l’annexion du village à la ville de Montréal, en 1905, et cette crise, le quartier connaît un développement accéléré, les années folles, notamment grâce à la construction de petites usines et d’écoles.
La formation de nouvelles paroisses et le prolongement des rues Jean-Talon et Saint-Laurent, cette dernière étant la première artère à traverser l’île de Montréal du nord au sud, ajoutent également à la prospérité. La communauté des Clercs de Saint-Viateur y est aussi très active en achetant des terres, pour les subdiviser en lots et les revendre afin de subvenir aux uvres qu’elle coordonne.
De village à quartier
Les conditions de vie sont toutefois difficiles pour la population. Malgré l’annexion du Village à la ville de Montréal, les résidants n’ont pas accès aux commodités sanitaires. Villeray n’est pas desservie par le réseau d’égouts et d’aqueduc. Les rues du village et les maisons seront éclairées à partir de 1914 et en 1921, la population pourra communiquer, par l’entremise du téléphone, avec leur famille éloignée et leurs amis de Montréal.
À défaut de réseau d’aqueduc, les maisons devaient être munies d’un puits artésien afin d’avoir un accès direct à une source d’eau. Les personnes qui ne pouvaient s’offrir une telle installation devaient avoir recours aux services municipaux qui vendaient l’eau cinq sous la chaudière. Les témoignages historiques de l’époque relatent que la ville apportait l’eau sur des voitures tirées par des chevaux. Elle servait pour la cuisine et pour se nettoyer. Les villageois utilisaient l’eau de pluie pour le lavage des vêtements.
Ces conditions n’empêchent toutefois pas le développement domicilier de Villeray. En 1922, les statistiques de sur la construction de maisons situent Villeray au deuxième rang, après le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Les autorités dénombrent cette année-là 172 nouvelles maisons comprenant 438 logements dans le village. La proportion de logements par maison reflète les conditions socio-économiques du quartier : on y retrouve une population à plus faible revenu, ne pouvant s’offrir de l’achat d’une maison.
Les chiffres recueillis par la paroisse Saint-Alphonse-d’Youville, qui s’étend du boulevard Saint-Laurent à l’est, à l’avenue de Châteaubriand à l’ouest, et du boulevard Crémazie au sud, à la rue Émile-Journault au nord, démontrent un développent accéléré de ce secteur. Ce phénomène est dû, entre autres, à la venue des ateliers d’Youville, où étaient réparés les tramways du service de transport en commun.
On dénombrait en 1911, 72 familles. Seize ans plus tard, en 1927, il y en aura 1063 et plus de 2000 en 1936. Devant ce nombre croissant des nouvelles familles, l’hôtel Bougie, devenu Vernais, sera transformé en école primaire et secondaire.
Un climat économique austère
Les conditions de vie de l’époque reflètent le climat dans lequel évoluaient les familles établies dans le quartier Villeray. Le prix des loyers en est un bon indicateur. En 1928, une famille de Villeray devait consacrer entre 11$ et 16$ pour un logement de 6 pièces sans commodité, alors que la moyenne des prix ailleurs dans Montréal se situait entre 16$ et 25$. La crise économique de 1929 fera chuter légèrement le prix des loyers, alors qu’une famille allouera environ 8$ pour un logis de six pièces et 15$ pour un sept pièces.
La mise en relation entre le prix des logements et les conditions salariales de l’époque laisse voir que la population du quartier n’évoluait pas nécessairement dans les meilleures conditions. Par rapport au reste de la ville, les revenus et les loyers sont parmi les plus bas en 1928. Par exemple, une vendeuse de la rue Saint-Hubert gagnait 12,50$ par semaine, ce qui correspondait au salaire minimum gagné par un travailleur de l’industrie. Un opérateur de chaufferie gagnait, pour une semaine de 84 heures, 23 dollars. La somme consacrée au paiement du loyer coïncidait donc à plus ou moins un tiers des revenus mensuels.
Avec les années 30, plusieurs logements situés sur les rues commerciales de Villeray, soit Saint-Hubert, Saint-Denis ou encore Jean-Talon, seront transformés en commerces ; comme en fait foi cet article du journal La patrie de 1936 :
« [,] des logements tout neufs se transforment en commerces, bureaux et en ateliers pour satisfaire aux exigences toujours accrues de l’industrie et des affaires. » ( La Patrie, 12-3-36)
Malgré le ralentissement économique qu’impose la grande noirceur, le gouvernement provincial et la ville de Montréal investissent d’importantes sommes d’argent pour la réalisation de travaux de relance. Au nombre de ces derniers, il y aura la construction de la gare Jean-Talon, où se trouve aujourd’hui la station de métro Parc, celle du chalet du parc Jarry et des installations du Marché du Nord, aujourd’hui marché Jean-Talon, dont la ville acquit les terrains en 1931, alors connus sous le nom de Shamrock.
Sources
Association des locataires de Villeray, Villeray, d’hier à aujourd’hui, 27 pages. Association des locataires de Villeray, Villeray : une traversée du siècle, 40 pages Collection Pignon sur rue, 1991, Les quartiers de Montréal, Guérin éditeur, 393 pages.
Corporation de gestion des Marchés publics de Montréal
Direction de la santé publique, Régie régionale de Montréal-Centre, Ville de Montréal et Centraide du Grand Montréal, 2001, Développement des communautés locales
Portraits de concertations de quartier à Montréal – Le Conseil communautaire Solidarités Villeray / Comité de développement local de Villeray, Géopanorama de Montréal